Astar

Kindrana

Partie 2 (lire la première partie)


Mes premiers jours sur le vaisseau fédéré ne furent pas de tout repos. Malgré l’attitude qui se voulait rassurante de ses occupants, je traversai de longues périodes de délire agité où je me débattais avec force. Je ne partageais pas de langue commune avec mes geôliers. Parfois, je leur criais des questions, ne recevant que des airs peinés et des mains ouvertes en guise de réponse. 

Il m'était difficile de dire combien de temps s'était écoulé depuis mon sauvetage. Dans la cellule médicale, les cycles journaliers étaient ponctués d’examens de routine pour évaluer mon état et de repas constitués de rations protéinées sans goût, mais hautement nutritives. 

Il y avait deux sortes de visiteurs. 

Les premiers, à la peau bleutée, étaient de gabarit similaire au mien, soit un peu plus petits que le draconien moyen. Leur épiderme était lisse et leur crâne sans aucune aspérité. Leurs doigts longiformes n’étaient pas terminés par des griffes et leur toucher d'une douceur extrême m’était déplaisant. Leurs yeux dominaient leur visage et rendaient presque ridicule la présence d’un nez et d’une bouche. Bien que leurs iris paraissaient d’un noir opaque à première vue, la lumière y était captée de façon surprenante et s'y reflétaient dans une profondeur hypnotisante. 


Ces créatures à la génétique bien différente de la mienne étaient en charge des opérations et donnaient des directives à une cohorte de petits être bruns identiques - des clones, de toute évidence - qui m'arrivaient à la taille. La peau de ces derniers s’avérait écailleuse, comme la mienne, mais leurs membres inférieurs ne possédaient qu'une seule articulation (à l'instar des êtres bleus) et leur épine dorsale était dépourvue de queue ou de crête. Leurs oreilles, étonnamment disproportionnées, leur donnaient un air plutôt grotesque mais leur conférait une perception de toute évidence supérieure à la mienne. Il leur arrivait à l'occasion de cesser tout mouvement et « d'écouter » quelque chose que je ne pouvais capter. Ceux-ci m’ignoraient largement et leur expression neutre n'était remplacée que par un air d'irritation lorsque je tentais de leur adresser la parole. Ils nettoyaient la cellule, changeaient mes pansements et s’affairaient sur le matériel qui m'entourait.

Mon état s’améliora rapidement. Mes plaies visibles s'estompèrent en quelques jours et ma vitalité revint. Mon système digestif reprit lui aussi des fonctions et j’arrivai bientôt à consommer l'entièreté des rations qui m’étaient offertes. Lorsque je fus capable de me tenir debout, on me transféra à une cabine sobre, mais propre et confortable. Un lit d'une simplicité militaire, un meuble de chevet et une chaise droite étaient les seuls meubles qui s’y trouvaient. Une étroite pièce adjacente servait au soulagement de mes besoins corporels. La porte du logement était verrouillée, mais je sentais que mes gardes ne me voulaient pas de mal. Je pris donc la résolution de coopérer afin de démontrer ma bonne volonté. De toute façon, j'étais encore épuisée. 

Après un long repos, enfin sans équipement médical attaché à mes membres, je me réveillai lorsqu’un nouvel arrivant fit son entrée dans la pièce. Celui-ci n'était pas bleu, mais d'une étrange teinte rosée. Il portait un uniforme non-médical qui évoquait davantage l'allure d’un officier. Il s'avança vers moi alors que je me redressais dans mon lit, aux aguets. Je n'avais jamais vu ni même entendu parler d’un être comme celui-ci. Sa morphologie générale était similaire à celle des créatures responsables de mes soins mais sa stature ne devait pas dépasser mes épaules. Ses traits étaient plus proportionnés à mon goût mais son apparence satinée me rendait inconfortable. 

Son attribut le plus surprenant était sans doute cette masse de fils dorés d’une grande finesse qui émergeait de son scalp en cascadant jusqu'à ses épaules. Chaque mouvement subtil de la tête faisait onduler cet étonnant appendice.  Son visage, quant à lui, paraissait irradier de lumière, au point où je me suis demandé si je ne faisais pas de la fièvre. L'étranger fit un geste en direction du lit. Il demandait s’il pouvait s’asseoir. Je fis signe que oui, sans savoir si ce symbole non-verbal lui serait reconnaissable. Il s’assit avec précaution et me tendit la main (sa main avait 5 doigts?!) pour que je la prenne. Ses doigts étaient plus petits que les miens mais, bizarrement, je fus soulagée d'y remarquer de courtes griffes arrondies. J'éprouvais de l’aversion envers leur texture mais je lui rendis tout de même son geste.

À l’instant où nos doigts se touchèrent, j'entendis mon nom, “Kindrana”, comme si l’on m'avait adressé la parole, mais j’avais la certitude que ses lèvres n’avaient pas bougé. Son autre  main vint se poser sur la mienne, avec une quasi caresse. Je n’avais jamais connu un toucher si présent, si doux. Une vague d'émotion monta en moi et je sentis ma gorge se nouer. Ses yeux bleus (bleus!?) me regardaient comme personne ne m’avait jamais regardée auparavant. La voix poursuivit sur un ton familier  « Je suis Astar. C’est un plaisir de t'accueillir à bord. Tu dois avoir un million de questions et je te promets qu’elles trouveront toutes réponses en leur temps, mais il nous faut commencer par le début et il y a beaucoup à faire. Est-ce que tu me permets de te transmettre une capsule d’information directe? »

Je ne savais pas de quoi il parlait. Les seules informations directes que je connaissais sont celles transmises par la génétique nos ancêtres. Tous les reptiliens viennent au monde avec une connaissance de base des mœurs et instincts de notre société. Certains individus génétiquement modifiés peuvent être conçus avec les mémoires complètes ou partielles de leur géniteur, mais il s'agit d'un processus de modification in vitro et je ne suis pas née avec ce type de souvenirs. 

Ne sachant pas quoi ni COMMENT répondre, je choisis de répéter mon geste d’approbation. Sans cérémonie, Astar posa deux doigts sur mon front. 

Je sentis un choc immédiat et mes yeux se fermèrent sous la puissance du flux énergétique qui me traversa de la tête aux pieds. Mes globes oculaires se mirent à bouger de manière frénétique et incontrôlable, de droite à gauche, comme lorsque l'on rêve, mais en toute conscience. Une pulsation au centre de mon crâne causait une sensation liquide accompagnée d'une pression désagréable mais pas douloureuse. Vers l'avant de mes yeux clos, une lumière stroboscopique donnait l’impression de contenir des images, mais j'étais incapable d'en déchiffrer le sens. Ce processus dura quelques secondes au plus, mais quand les doigts d’Astar se retirèrent et que je rouvris les yeux, je réalisai qu'à ce moment, je savais. Je savais ce qui s’était passé sur D-1357, comment les fédérés m’avaient retrouvée et pourquoi j’étais maintenant ici.

J’avais connaissance que l’empire draconien exploitait une colonie majeure près d’une étoile située entre Omega et Zeta, de la constellation que vous appelez Orion. 

Depuis plusieurs décennies, il s’agissait du centre des opérations dans la région et nous dépendions de cet établissement pour recevoir nos instructions et notre ravitaillement. Les reptiliens y employaient des travailleurs natifs de la planète. Selon Astar, la nation indigène avait été assez débrouillarde pour parvenir à contacter les Pléiades, une faction majeure de la Fédération Galactique. 

Les pléiadiens, sensibles à cause d’une population prise sous esclavage, avaient déployé des renforts militaires afin de reprendre le contrôle de la planète. Cet enjeu s'était initié et déroulé sur plusieurs années, sans que nous en ayons la moindre idée, nous qui étions isolés sur notre satellite lointain. 

Au climax de la bataille, l’Empire avait rappelé tous ses vaisseaux militaires dans l’espoir de maintenir son ascendant sur le précieux avant-poste. Contre toute attente, l’Empire fut mis en déroute et les rescapés durent se retirer vers Alpha Draconis, à des années-lumière de là. Une navette éclaireuse de la fédération capta nos messages de détresse et envoya une mission de sauvetage, sans savoir s’il y aurait encore des survivants à leur arrivée. 

Assez surprise de ces informations, je lui demandai, par des images formées dans ma pensée, pour quelle raison ils avaient souhaité sauver des individus de la faction ennemie, perdus sur une roche sans importance au milieu de nulle part. 

Astar prit une pause sans me quitter du regard avant de reprendre : « Pour trouver des gens comme toi, Kindrana. » 

C’est alors que l’intensité eu raison de moi et je sentis des larmes incontrôlables rouler le long de mes joues. Je n’avais jamais ressenti une si grande chaleur ni une telle présence. Je me sentais vue. 

Il poursuivit : « Tu as de la chance d'être vivante. Ta faculté de régénération est surprenante : du jamais vu chez un individu de ton espèce. Nous avons d’autres reptiliens dans nos rangs, mais jamais je n’ai rencontré quelqu'un comme toi. Nous sommes reconnaissants d’avoir la chance de t’avoir parmi nous et mon souhait le plus cher est que nous puissions collaborer. Nos scientifiques meurent d’envie d'analyser ton génome et les applications bio-médicales possibles. En échange de ton aide, tu auras la possibilité d’étudier ce qui te plaira ici et même ailleurs, si tel est ton souhait. Nous avons pris connaissance de tes travaux. Tes talents pour la recherche et ta rigueur sont remarquables. Notre technologie et nos connaissances sont à ta disposition. » 

Je sentis cette sensation familière d’excitation au creux de mon ventre qui s’active lorsque s'éveille ma curiosité. D’un côté, j’avais des réserves; mon esprit rationnel me fournissait mille scénarios de trahison et raisons de me méfier, de même qu’une feinte objection patriotique. Où se trouvait donc ma loyauté envers l’Empire?  Mais d’un autre côté, c’était une opportunité extraordinaire et inespérée. Mon intérêt pour  l'expérience grandissait de façon exponentielle . Une partie de moi souhaitait gagner l’approbation et le respect de la figure impressionnante qu'était Astar. 

De plus, je n’avais nulle part d’autre où aller.

Astar, souriant, se tut pendant quelques instants, question de me permettre  d’assimiler cette nouvelle information. Je soupçonnais qu’il pouvait “entendre” ce qui défilait dans ma psyché et m’en trouvai embarrassée. Je constatai qu’il ne tenait plus ma main, mais que j’arrivais toujours à “l’entendre”, malgré mes oreilles bourdonnantes et ma vision un peu trouble, le cœur battant.  “À partir de maintenant, tu es libre d’aller où bon te semble et d’interagir avec les autres occupants. Nous aurons la chance de discuter de nouveau bientôt.” 

Mon visiteur se leva et, sans rien ajouter, sans un regard en arrière, il quitta la chambre qui serait la mienne pour les 15 années suivantes.

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